L'avenue dite de Passy
et la borne de la rue Berton.

 

Au XIXe siècle, Auteuil était un petit village agricole de moins de mille habitants. La reconstitution d'une partie des délibérations du conseil municipal du village d'Auteuil, réalisée par les Archives de Paris, donne quelques exemples de problèmes que dut affronter ce conseil. Une action importante concerne l'avenue dite de Passy, dont on ne trouve plus de traces officielles.

En 1832, le sieur Lepelletier est adjudicataire de terrains comprenant cette avenue. Bréchemin, maire d'Auteuil depuis mars 1832, découvrant en 1836 cet acte, réunit son conseil municipal le 5 janvier 1837 et obtient le pouvoir de négocier l'achat de cette avenue, "afin de conserver cette unique voie entre les deux communes", et le conseil vote un crédit de 1.020 F pour cet achat.

Mais il faudra négocier, ainsi que le montre la délibération du 25 juillet 1837 : "Avenue de Passy, tenant d'un bout à la rue de la fontaine d'Auteuil et d'autre bout au rond point dit de Boulainvilliers où aboutit la rue basse de Passy [ce qui semble correspondre à la partie de la rue Raynouard située entre la rue de Boulainvilliers et la rue des Vignes], et bordée par la sente d'Auteuil d'une largeur de 2 mètres seulement, la dite avenue appartenant au sieur Pelletier, fabricant de produits chimiques à Javelle, en vertu de l'adjudication faite le 23 avril 1832 par devant Maître Triboulet, notaire à Passy.
M Pelletier ne voulant plus revendre cette avenue, le maire soumet au conseil la nécessité de procéder par voie d'expropriation pour cause d'utilité publique. Le sieur Lequeux, architecte de l'arrondissement, estime le terrain à 1.226 F, y compris les arbres existants". Le conseil donne son accord et vote le crédit. Par acte du 28 décembre 1837, par devant Maître Formont, notaire à Boulogne, le sieur Lepelletier cède à la commune d'Auteuil l'avenue de Passy pour le prix de 1.725 F plus 297,22 F de frais d'acte. Le 1er février 1838, Brechemin fait adopter par le conseil municipal d'Auteuil l'abattage d'arbres pour assainir cette avenue : "
- des deux côtés depuis la rue de la fontaine jusqu'à la demi lune de Boulainvilliers : 30 ormes et 21 trembles,
- sur la demi lune et la partie dépendante d'Auteuil : 5 ormes
le tout vendu sur pied 320 F, sous condition d'enlever les souches et de reboucher les trous."

Cette anecdote prouve que la rue Berton, anciennement rue Basse puis rue du Roc lorsque l'actuelle rue Raynouard changea son nom de rue Haute en rue Basse, ne faisait pas partie d'Auteuil mais était totalement intégrée dans Passy. Auteuil s'arrêtait à l'angle de la rue de la Fontaine et de la rue de Boulainvilliers (château du seigneur de Passy), qui correspond à peu près aujourd'hui à la place du docteur Georges Hayem (nom donné en 1935 en hommage à ce professeur de thérapeutique et de médecine médicale, sans doute à cause de la proximité de la rue du docteur Germain Sée). Il nous faut donc, très humblement, regarder la fameuse borne de la rue Berton, qui marquerait la séparation entre les seigneuries d'Auteuil et de Passy, comme une simple borne limitant l'accès des charrettes à cette voie fort étroite. Il est en effet fort peu concevable d'imaginer que le château de Passy se fût trouvé, au moins pour une partie de ses jardins, sous la dépendance des Génovéfains, seigneurs d'Auteuil.

Un autre document renforce cette analyse, c'est Passy publié par Jacques-Emile Blanche en 1928. Le fils du célèbre aliéniste Emile Blanche, qui hébergeait ses "agités" dans l'hôtel de Lamballe, aujourd'hui ambassade de Turquie, y rapporte ses souvenirs de Passyssien et non d'Auteuillois car la maison familiale, l'hôtel de Lamballe qui fait face à la borne de la rue Berton, était dépendante de la paroisse Notre-Dame de Grâce de Passy et non de celle d'Auteuil. Il précise page 26 : "La borne qui désignait la limite des deux communes était au-dessous de l'intersection des rues Raynouard et du Ranelagh, près de la rue de Boulainvilliers, au bas de ce qui fut - autant que nous le pouvons déduire - le parc du château de Passy, construit en 1678." Cela placerait cette fameuse borne non loin de la place Clément Ader, et plus sûrement sur l'emplacement de la Maison de Radio France.

Je pense vraiment que ces documents prouvent que la borne de la rue Berton n'était pas la séparation des deux communes et que la petite plaque commémorative a été posée avec trop de hâte. Mais que de légendes à raconter lorsque l'on passe avec quelques visiteurs de notre arrondissement dans cette si exceptionnelle rue Berton! Amis lecteurs je vous livre ici mon intime conviction ; mais faut-il pour autant détruire les rêves de tous ceux qui empruntent cette rue ? Laissons cette précision aux seuls chercheurs, aux seuls historiens pointilleux, aux seuls habitants d'Auteuil et de Passy, et pardonnez-moi de ne point lancer de pétition ou de croisade pour la suppression, sinon de la borne, du moins de l'inscription erronée qui la domine. Quand le rêve est sublime il ne faut pas le détruire, même avec quelques actes officiels, du moins tant que cela ne met pas en cause la sécurité publique et l'avenir du monde.

© Hubert DEMORY

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